OMBRA MAI FU Opéras et musique 

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15 Dec 2020

Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir: Lohengrin - Berlin - 13 décembre 2020.


Ce Lohengrin de Berlin suivi sur Arte jusqu’à 2h30 du matin (comme autrefois à Orange): dans la noirceur du monde sinistre et irrécupérable de Calixto Bieito, seul irradie l’éclat radieux de Roberto Alagna qui réussit haut la main son pari wagnérien, après son retrait piteux de Bayreuth 2018 dans ce même rôle du chevalier du cygne. La salle Unter den Linden est hélas vide de public pour cause de pandémie. Le spectacle est retransmis en différé à la télévision. 
On ne peut que saluer l'exploit du ténor français qui n'a pas voulu baisser les bras, a finalement réussi à apprendre son texte et est parvenu à renouer avec le souvenir de George Thill, interprétant de surcroit en allemand et sur une scène allemande ce rôle majeur. Et ô surprise le panache, la vaillance, le style, le timbre, la diction, la projection, le souffle sont bien là, avec cette grâce méditerranėenne qui sied au héros surgi de Montsalvat. Le naturel et l'aisance sont là aussi, comme si ce Lohengrin était pour Alagna une évidence. Mais il y a au dessus de tout dans son chant l'émotion et l'humanité qui culminent avec lui au dernier acte avec une sobriété infinie. Et dans cette production glauque et déprimante c'est une denrée rare. Ce n'est pas dans ce Lohengrin qu'on va trouver cette couleur bleu-argent si chère à Thomas Mann.
Ici comme souvent chez Calixto (son Mefistofele à Lyon, son Tannhäuser à Anvers) tout est noir, corrompu, délétère, souillé, détestable. L'humanité est perdue, malade, empoisonnée, gangrenée. Le Roi Heinrich (René Pape) est agité d'un tremblement sénile inquiétant (mais le bronze de sa voix reste infaillible). Son héraut (réjouissant Adam Kutny) est un bouffon très en voix mais prêt pour l'asile psychiatrique. Ortrud (Gubanova, juvénile, arrogante mais peu maléfique) saigne du nez, Elsa (Vida Miknevičiūté), outre son vibrato prononcé, est atteinte au front d'une plaie sanguinolente. Telramund (Martin Gantner) a l'air épargné avec son look d'actionnaire véreux. Les Brabants s'agitent comme des compulsifs, manifestement couverts d'une vermine dont ils ne parviennent pas à se débarrasser. Tout ce petit monde qui fait peine à voir ne suscite pourtant aucune émotion. Le seul qui émeut c'est Roberto.
Le dispositif scénique est à l’avenant: repoussant, rébarbatif. On est d'abord dans une salle de prétoire avec néons et cage en fer où la prévenue Elsa se tient comme dans les procés des mafieux siciliens. Après une sorte de disjonction électrique agrémentée d'éclairs, Roberto son avocat surgit benoitement, costume clair et cocotte de papier à la main (c'est le cygne), comme ferait Dupont-Moretti lors d'une audience un peu longuette. Au deuxième acte on a un enchevêtrement de poutres et barres calcinées d'où Ortrud interpelle Elsa, enveloppée dans une gaze verdâtre et lumineuse telle une Luciole. Le héraut du Roi apporte un énorme gâteau de mariage auquel Elsa goûte avec gourmandise et qui s'illumine comme un arbre de Noël. Les Brabants brandissent des slogans en allemand ("courage!”, "amour!”, ”valeur!”) d'une profondeur touchante. Quelques vidéos noir et blanc ici et là pour faire bonne mesure. Il y a au 3ème acte sur fond noir un grand canapé blanc Poltrona Frau puis un retour à la salle de prétoire du 1er acte. Le jeune Gottfried apparait in fine, trempé et frais comme un gardon, et on croit un instant au renouveau. Mais voilà qu'il brandit aussitôt l'épée laissée par Lohengrin pour la faire tournoyer avec agressivité et la pointer d'un air menaçant vers la salle et les caméras. Caramba, encore un cinglé, encore raté!
Dans la fosse, l'orchestre de la Staatskapelle officie sous la baguette de Matthias Pintscher qu'on a plus souvent rencontré dans Boulez et Luigi Nono avec L'Ensemble Intercontemporain que dans une maison d'opéra. La partition est délivrée avec efficacité mais sans grâce. Le choeur "Gesegnet soll sie schreiten” qui habituellement nous fait fondre en larmes nous laisse ici un peu de glace. Mais bon, les conditions de cette représentation sont si particulières qu'il faut admirer la conscience et l'engagement des musiciens, chanteurs et choristes se produisant devant une salle vide. Barenboim nous l'avait dit: ”Jouer sans public, c'est comme boire un café froid”./.
9 Aug 2020

Tulipatan c'est épatant (Etretat - Clos Lupin - 8 août 2020)


Comme le Festival de Salzburg, le Festival Offenbach d'Etretat qui fête son 15è anniversaire a décidé cette année de ne pas baisser les bras et de se produire envers et contre tout, en format réduit et allégé compte tenu des circonstances: une déambulation musicale dans Etretat, une soirée de violoncelle à l'Eglise, et cette Ile de Tulipatan, à laquelle on assiste ce soir, donnée en plein air dans le jardin du Clos Lupin... C'est notre première sortie musicale depuis février dernier (Le Barbier de Séville à l'Opéra Bastille). Masques et distance sanitaire de rigueur à défaut de smoking et de robes longues.

Cette Ile de Tulipatan (1868 - Bouffes Parisiens) est une intrigue sur la confusion des genres qui devrait ravir les adeptes de l'écriture inclusive et les copines de l'exquise Alice Coffin du Conseil de Paris. ”La scène se passe à 25000 kilomètres de Nanterre, 473 ans avant l'invention des crachoirs hygiéniques”, nous dit le livret. Le prince Alexis, fils du Grand Duc Cacatois XXII, est en réalité une fille, élevėe en garçon. Hermosa, fille d'Octogène Romboïdal, Grand Sénéchal, et de sa femme Théodorine, est en réalité un garçon, élevé en fille. Ils tombent amoureux. Quiproquos et malentendus entre les morceaux de bravoure: Vive le Tintamarre! Couplets du Colibri (J'ai perdu mon ami), Je vais chercher les petites cuillers (air de Théodorine), Quoi c'est vous? Oui c'est moi (duettino Alexis/Hermosa), etc...

La production est montée par l'excellent Yves Coudray, directeur artistique et cheville ouvrière du Festival, grand défenseur du renouveau des oeuvres légères oubliées. Acteur, chanteur, metteur en scène, professeur, animateur de troupe, il connait ce répertoire sur le bout des doigts. Il a monté souvent cette Ile de Tulipatan sur des scènes parisiennes ou ailleurs. Il chante et joue ce soir le pleutre Grand Sénéchal, père de l'étrange Hermosa. Mais voilà qu'au final il se saisit d'un micro pour annoncer qu'il vient de prendre la décision de quitter le festival et Etretat en raison d'un désaccord artistique avec la nouvelle direction. Vivrions nous en direct une nouvelle querelle publique Mortier/Helga RS? En pleine nuit de canicule l'annonce impromptue jette un froid et plonge l'assistance dans la consternation.

La dernière fois qu'on avait vu Offenbach c'était l'an dernier à Salzburg pour un Orphée aux Enfers germanique poussif et empesé qui ne restera pas dans les mémoires. C'est que pour donner Offenbach, certes natif de Cologne mais parisien avant tout, il faut de l'humour, de la finesse, de l'esprit et de la légèreté, denrées rares outre Rhin. Il faut aussi des chanteurs/acteurs ou acteurs/chanteurs aussi à l'aise dans le chant que dans la comédie et le quadrille. Et ce soir les ingrédients sont là. Certes sur scène et en plein air tout ce petit monde, fort joliment costumé, est sonorisé. Les enceintes acoustiques disposées à droite et à gauche de l'espace donnent d'abord quelques signes d'inquiétude (bruits de court circuit et disparition du son) avant de reprendre leurs esprits. L'orchestre est remplacé par un efficace piano demi queue de bel effet joué à quatre mains et avec entrain par une dame et un monsieur dont on n'a pas les noms. Autour d'Yves Coudray on a aussi Frank Le Guérinel en Cacatois de grand style et trois dames, dont un homme, excellents en Théodorine, Alexis (qui est une fille), Hermosa (qui est un homme). L'entrée en scène d'Hermosa, robe rose bouffante, couronne de fleurs dans les cheveux et carabine en main, est un grand moment (”Vive le tintamarre! Moi c'que j'aime, c'est la bagarre!”) comme l'arrivée finale d'Alexis en robe de mariée, son long voile blanc soulevé dans l'air par une collection de ballons gonflés à l'hélium. Sans oublier que la pimbêche Eugénie a fait rayer le nom d'Offenbach de la liste de la légion d'honneur, on ne peut s'empêcher de penser qu'on savait rigoler sans vulgarité sous le Second Empire. Les mots de Théodorine à sa fille Hermosa: ”Non! Tu n'appartiens pas au sexe gracieux et faible! Tu fait partie de celui qui a produit Romulus, Caracalla et Pompée!".

Dans l'aire verdoyante du Clos Lupin, ancienne villa Le Sphynx, repaire de Maurice Leblanc et d'Arsène, tandis que le crépuscule puis la nuit descendent sur la côte normande, cette Ile de Tulipatan, agrémentée (comme parfois à Bayreuth) par le vol de quelques chauve-souris et le cri des goélands, passe comme une lettre à la poste en une heure et demie. On avait quitté les joies du monde lyrique avec le Barbier de Séville en février. On y revient en août avec Offenbach et c'est délicieux. Un bain de bonne humeur./.

26 Nov 2019

Ercole Amante - Francesco Cavalli - Opéra Royal de Versailles - 24 novembre 2019

On poursuit avec rigueur la quête des opéras rares sur les scènes françaises, loin des Traviata, Tosca, Butterfly ou Don Giovanni qui encombrent jusqu'à la nausée les programmes des saisons lyriques de nos paresseux théâtres. Après le Guillaume Tell de Lyon, L'Ernani du Théâtre des Champs Elysées, le Freischütz de Rouen, avant le Prince Igor de la Bastille, voici l'Ercole Amante de Francesco Cavalli (1662) venu de la Salle Favart et débarquant là dans l'écrin éblouissant de l'Opéra Royal de Versailles.

Composé pour le mariage de Louis XiV et de Marie Thérèse d'Espagne, comme nous le rappelle le prologue de Cavalli, cet Hercule Amoureux a évidemment sa place idéale dans la salle étincelante édifiée par Gabriel pour le mariage du futur Louis XVI et de Marie Antoinette (1770), bien plus que dans la Salle des Machines des Tuileries (4000 places, plus qu'au Met!) où l'acoustique, dit-on, était catastrophique. Ici la musique sonne comme à l'intérieur d'un Stradivarius. L'Ensemble Pygmalion du jeune Emmanuel Pichon resplendit dès les premiers accords des mille couleurs boisées d'une formation sur instruments anciens (diapason 440?) évidemment impossibles à entendre dans nos fosses traditionnelles et plus encore dans l'acoustique trafiquée de la Bastille. A nous théorbes, sacqueboutes, tambourins, hautbois, flageolets, flûtes en bois, doulcianes, cornets, trompettes et cors naturels! Le son tendre, charnu, chaleureux et fruité des merveilleux pupitres de Pygmalion nous emplit d'une saveur pleine, entière, immédiate, non dégradée et c'est bien pour ce bonheur sonore qu'on vient d'abord écouter de la musique. Ici ça dure quatre heures, parce qu'on a supprimé les ballets que Lully avait cru bon d'introduire dans la partition de Cavalli qui durait six heures à l'origine. Le divin Francesco, maitre absolu du lamento, nous donne une musique qui n'ennuie et ne lasse jamais et sait créer des effets extraordinaires: il y a un duo entre la mère et le fils qui ressemble fortement au ”Pur ti miro” du Couronnement de Poppée (sans doute composé par Cavalli et non par Monteverdi), il y a une musique funèbre de déploration devant la tombe d' Eurytus que Purcell a certainement copiée pour les funérailles de la Reine Mary (1690), un quatuor final d'une modernité étonnante. Bref cette partition ainsi magiquement restituée, nous propulse sans crier gare dans le ciel d'Apollon qui flotte au dessus de nos têtes dans la fresque peinte par Durameau pour le plafond de l'Opéra Royal.

Sur scène l'équipe des chanteurs/voltigeurs est resplendissante. On voudrait tous les citer. L'Hercule de Nahuel di Pierro impressionne par sa stature physique et vocale et son baryton tour à tour mordant, élégiaque, autoritaire et tendre. Dans les airs ou sur les planches la Junon avec paon d'Anna Bonitatibus est une vraie déesse, Fricka avant l'heure, défendant les liens sacrés du mariage, mais glamour à revendre, fracassante et non dépourvue d'un certain humour. Déjanire, l'épouse délaissée d'Hercule, c'est la lumineuse et plaintive Giuseppina Bridelli qui entre en scène avec une traine interminable (50m?) faisant trois le tour du plateau. Il y a aussi le beau couple des amants sacrifiés (Francesca Aspromonte, Krystian Adam), une Vénus capiteuse dans sa colombe volante (Giulia Senzato) et un Neptune surgissant des flots en sous marin (Luca Tittoto) et plein d'autres comparses étonnants surgis du Choeur Pygmalion. 

Tout ce petit monde est mis en scène, illuminé, enrubanné dans l'emballage poétique, joyeux, drôle, coloré, attendrissant et réjouissant conçu par une fine équipe, incroyablement talentueuse, respectueuse et novatrice, qui a tapé dans le mille en recréant un nouveau et merveilleux style de machines, entre Disney et le Grand Siècle (Valérie Lesort, Christian Hecq, Laurent Peduzzi, Vanessa Sannino). On reste esbaudi par le raffinement et la justesse de chaque trouvaille émergeant des dessous, des cintres ou des coulisses, par les changements d'ambiance d'une sobre beauté qui nous transforment scène après scène le décor unique (une grande et haute voute blanche qui pourrait être le choeur de La Chapelle Royale) en des univers merveilleux, inattendus et ravissants.

Ercole Amante n'avait pas été redonné en France depuis 1662, à l'exception d'une production à Lyon dans les années 70 (largement élaguée) et d'une autre au Châtelet dans les années 80. Pour le revoir il faudra se rendre en 2021 à l'Opéra de Bordeaux./.

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19 Nov 2019

Le Freischütz - Weber - Rouen - 17 novembre 2019


Gorge profonde


L'acteur principal dans Le Freischütz de Weber (1821) c'est l'orchestre. Après la Flûte de Wolfgang et le Fidelio de Ludwig van, on passe ici à une étape nouvelle et fondatrice de l'histoire de l'opéra allemand où la fosse n'est plus seulement l'aimable accompagnatrice du chant mais le lieu où la symphonie impose sa loi et commande le ton de l'ouvrage tout entier. C'est lui qui crée la forêt, la chasse, l'orage, la gorge aux loups, la nuit, le fantastique, la peur, l'effroi, l'espoir, le bonheur. Le jeune Wagner, on le comprend, est fasciné. Pourquoi cet opéra emblématique du romantisme allemand, doté d'une telle splendeur musicale, est-il si peu donné, même en Allemagne? C'est un mystère, au milieu des sempiternelles, oiseuses et barbantes rééditions de La Flûte Enchantée qui envahissent partout nos scènes lyriques. En France c'est une rareté. L'Opéra de Paris ne l'a jamais monté (Vu au Châtelet en 1988, à Vienne en 1999, à Salzburg en 2007).


Les premières notes de l'ouverture vous plongent en un clin d'oeil dans les profondeurs de la forêt de Bohème et on comprend à Rouen à l'instant que l'orchestre de l'opéra local, enseveli dans une fosse d'une obscurité toute bayreuthienne, est au rendez vous sous la baguette magique et aimante de Laurence Equilbey. Elle a promené cette production de Caen à Ludwigsburg, Luxembourg, Paris, Londres et aujourd'hui Rouen: rondeur, plénitude, profondeur, substance, engagement, discipline et harmonie des pupitres. On est immédiatement saisi par la beauté sonore, intègre, immédiate et pénétrante, qui emplit sans manipulation cette jauge naturelle de 1400 fauteuils, à mille lieux du style débraillé et avachi qui prévaut trop souvent dans les fosses trafiquées de Bastille ou Garnier où oeuvre parait-il une phalange musicale qui serait, nous dit-on, le joyau des orchestres français. Le choeur Accentus de Laurence, omni présent d'acte en acte, est magnifique et soude la représentation de son applomb vocal.


Le chant sur la scène illumine d'une clarté lumineuse la noirceur nocturne et mystérieuse du dispositif. On est impressionné par le rayonnement physique et vocal de cette équipe juvénile, resplendissante et talentueuse. Le ténor de Stan de Barbeyrac (Max) mûrit comme un grand Bordeaux, assise granitique, ampleur souveraine, teinte de bronze d'où émerge l'éclat naturel et diamantin des aigus. L'Agathe de la sud africaine Johanni van Oostrum, habituée du rôle qu'elle a notamment chanté au Theater an der Wien, déploie un soprano radieux et limpide qui fait parfois ressurgir la magie vocale d'une Elisabeth Grummer (”Leise, leise..." dans un simple rayon de lumière). L'Ännchen de Chiara Skerath, nouvelle Rita Streich, est d'une vivacité et d'une grace épatantes. Les autres garçons, notamment le Kaspar de Vladimir Baykov, sont tous impeccables et sonnent, basses ou barytons, avec une sombre ardeur qui fait écho à l'omni présence des cuivres et des bois dans l'orchestre de Carl Maria.


La Compagnie 14.30 (Clément Debailleul et Raphaël Navarro), spécialisée dans les arts de la magie et de la prestidigitation, nous plonge dans une atmosphère nocturne en phase avec le livret, agrémentée régulièrement de travelling video à travers de verdoyantes et nobles forêts. La fantasmagorie intervient avec une parcimonie de bon aloi, réalisée avec un doigté poétique qui ne prend jamais le dessus: corps en lévitation, balles lumineuses qui tournoient, s'envolent, disparaissent et ressurgissent, apparition de spectres, dédoublement des acteurs. C'est très bien fait, discret, jamais à coté de la plaque, en accord profond avec l'ouvrage et la musique. Cette sobriété sied à la cohésion générale du spectacle où la fosse, le chant et la scène s'harmonisent dans un équilibre qu'aucun élément envahissant ou présomptueux ne vient rompre et aident à suggérer, sans les dévoiler totalement, des pistes dans l'énigmatique histoire du Franc Tireur et de son pacte avec le diable.


Gros succès dans une ville où on connait la musique. 68€ le fauteuil d'orchestre (contre 110€ au Théâtre des Champs Elysées)./.


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17 Oct 2019

Guillaume Tell - Rossini - Lyon - 15 octobre 2019

Comment l'Helvétie a sauvé la culture occidentale classique.

Avec Serge Dorny l'Opéra de Lyon a le goût du risque et c'est la raison pour laquelle on lui est fidèle. Ce Guillaume Tell de Rossini est un nouveau grand coup et c'est Tobias Kratzer qui officie sur la scène, après son étonnant et triomphal Tannhäuser de Bayreuth en août dernier. L'Opéra de Paris qui s'est spécialisé dans le recyclage des gloires venues d'ailleurs attendra avant de découvrir, après Londres, après les autres, le nouveau wonderboy des productions lyriques.

En nous proposant un Guillaume Tell noir et blanc, débarrassé de tout folklore helvétique, sans la moindre trace de prairie verdoyante, loin des rives idylliques du Lac des Quatre Cantons, et amputé de près de 30mn de musique (mais les ballets sont conservés et habilement intégrés à l'action) notre audacieux ami Tobias nous livre une vision âpre, radicale et dérangeante de l'histoire du héros suisse, d'une cohérence implacable. L'art de Kratzer, son talent véritable tiennent comme pour le Tannhäuser de Bayreuth dans un respect pour l'intrigue qui ne dévie pas de sa signification profonde et n'est jamais galvaudée et détournée dans l'anecdote bas de gamme ou vulgaire. Mais il ajoute une couche supplémentaire de signification de nature à régénérer l'ouvrage en l'éclairant de l'intérieur d'un sens nouveau. La résistance des patriotes helvètes contre l'occupant autrichien devient à Lyon le combat d'une assemblée d'artistes musiciens classiques (en noir) contre une horde de sauvages (en blanc) sortie tout droit d'Orange mécanique (1971), le film de Stanley Kubrick qui y a utilisé la musique de Guillaume Tell. Les instruments de musique de l'orchestre, découpés et réassemblés en francisques, épées, sabres, boucliers ou arbalètes, deviendront les armes de la victoire des artistes contre les barbares. La réunion des cantons d'Uri, Unterwald et Schwyz contre l'occupant sera figurée par le rassemblement des pupitres de l'orchestre, cordes, bois et cuivres. Gessler (sonore Jean Teitgen) sera tué d'un coup d'archet de violon en plein coeur par Guillaume (Nicola Alaimo, annoncé souffrant, mais d'une noble grandeur).

La scène qui se joue pendant l'ouverture fait froid dans le dos: la violoncelliste interprète son solo face au public sur une estrade blanche avec un couple de danseurs qui évoluent près d'elle. Une grande photo en noir et blanc tient lieu de seul décor: ce sont les sommets enneigés des Alpes, plus du coté de Zermatt que de celui du plateau du Grütli (distant de 180 kms). Les ”droogies” d'Alex, camisoles blanches, chapeau melon et bottes noires, surgissent, batte de base ball et club de golf en main, pour semer le désordre, créer la panique, harceler les artistes, les violenter, briser en miettes le rutilant violoncelle! Ce n'est que le début d'une lutte sans merci qui va monter en puissance pendant tout l'ouvrage et prendre des formes d'une sauvagerie parfois difficilement supportable, telle la mort de Melchthal (émouvant Tomislav Lavoie), le père d'Arnold (John Osborn, as des ascensions acrobatiques vers le suraigu rossinien). Le décor des sommets alpins se recouvre de sinistres coulées noires quand retentissent les cors de Gessler si bien qu'on se retrouvera sans crier gare dans la sombre forêt où Mathilde (sculpturale et radieuse Jane Archibald) apparait à l'acte suivant puis, au final, devant un ciel complètement noir quand l'Helvétie libérée invoquera la liberté redescendue des cieux. Le fils de Guillaume est un charmant bambin (Robinson Bert), as du violon, tiré à quatre épingles, couvé par sa mère (généreux et opulent mezzo de Enkelejda Shkoza), doublé par sa voix (Jennifer Courcier, soprano lumineux) qui lui sert d'ange gardien. Il finira complètement traumatisé par la scène de la pomme avant de se mettre à déchirer en mille morceaux ses partitions de musique et, chapeau melon planté sur la tête, nouveau disciple des droogies, à les jeter au feu comme Heinrich faisait avec la partition de Wagner à Bayreuth. La place fragile et contestée de l'art et de l'artiste classique dans la société contemporaine serait-elle un sujet de grosse préoccupation pour Tobias Kratzer?

Choeur magnifique mais orchestre un peu moins emballant qu'à l'ordinaire dans la fosse de Lyon, comme si la langue française, déjà dans le Don Carlos d'il y a deux ans, freinait les ardeurs naturellement péninsulaires de Daniele Rustioni.

Pas 210€ mais 79€ le fauteuil d'orchestre en plein centre du parterre. Salle complète et enthousiaste. Acoustique naturelle et sans système de ”mise en valeur sonore”. Nul besoin ici de se livrer à des soldes de dernière minute pour remplir les fauteuils. Et en plus il y a de délicieux oeufs en meurette sur la carte du ”Bouchon Tupin”. Et le musée des Tissus abrite des collections admirables./.
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10 May 2019

Tristan - Bruxelles - La Monnaie - 8 mai 2019


Le monde fossilisé de Pleger et Polzin embrasé par Altinoglu et son orchestre


Il y a donc aujourd'hui 2 écoles pour mettre en scène Tristan: celle de l'abstraction intemporelle (Heiner Müller à Bayreuth, Alex Ollé à Barcelone, Viola/Sellars à Paris) et celle du néoréalisme contemporain (Marthaler à Bayreuth, Trelinski à Baden Baden/New York, Tcherniakov à Berlin). Avec Ralf Pleger et Alexander Polzin à La Monnaie, deux nouveaux venus sur les scènes d'opéra (Polzin a cependant déjà réalisé les décors d’un Rigoletto en Allemagne et d’un Falstaff à Genève), on se situe à coup sur dans la première veine, celle de la vision onirique et fantasmée.


Le hiératisme et l'épure siéent, c'est certain, à Tristan et Isolde, ouvrage que Richard a voulu intituler Handlung (Action) et non Oper. Ici c'est la musique qui prime et qui fouaille les âmes et le théâtre est vain. Nos deux plasticiens nous gratifient donc d'acte en acte d'images très belles, très étranges, très bien éclairées et très inattendues qui sont les seuls éléments scéniques de nature à stimuler nos méninges pendant cinq heures: une grotte primordiale d'où croissent et dégringolent d'immenses stalactites phosphorescents, un gigantesque massif corallien où s'anime une lente bacchanale humaine pendant le duo d'amour, un ciel d'ardoise fracassé d'éclats rayonnants pendant l'agonie de Tristan. Pas de philtre, pas d'épée, pas de bateau, pas de torche, pas d'étreinte. Mais Melot a une lance (dont il ne se sert pas). Tristan au dernier acte porte un masque d'or sur la figure tel un souverain déjà apprêté pour son ultime voyage. Le berger du 3ème acte a un habit qui fait penser à une voile de navire, blanche d'abord, noire ensuite pour l'arrivée du second bateau. C'est beau, minéral, énigmatique. Mais c'est glacial, sans vie, sans épaisseur. Les personnages évoluent comme dans un rituel protocolaire lent et figé. On en vient à regretter l'Isolde de Marthaler balançant de fureur les fauteuils de son bateau à travers la scène de Bayreuth.


La vie heureusement surgit des profondeurs de la fosse où Altinoglu d'une gestuelle sans esbroufe et comme l'an dernier pour Lohengrin inonde la salle de La Monnaie du baume sonore de son orchestre en fusion. Le prélude parait d'abord un brin lymphatique et morne. Mais la flamme de la torche qu'on ne verra pas sur la scène embrase vite tous les pupitres pour déployer pendant cinq heures le chromatisme, la moire et la houle de la plus incroyable des partitions, jusqu'à la résolution de l'accord final et la tenue d'un interminable point d'orgue qui suspend dans l'immobilité la musique ”la plus extrême de Wagner” (Thomas Mann).


Il y a pour cette production de Tristan donnėe 10 fois à Bruxelles du 2 au 19 mai 3 Isolde, 2 Tristan, 2 Brangäne. On a choisi d'aller entendre le nouveau Bryan Register plutôt que Chris Ventris souvent entendu à Vienne ou Bayreuth. Son Tristan est loin des formats héroïques que la tradition nous a imposés. Mais c'est le seul ce soir qui émeut vraiment: sa réponse à Marke au II, et surtout son agonie au III, pour laquelle il a ménagé ses moyens dans les actes précédents sont de poignants moments d'humanité souffrante et de vraie grandeur. A ses cotés, Ann Petersen (Isolde déjà à Lyon, Elisabeth à Berlin avec Barenboim) d'une blondeur hautaine balance des aigus arrogants mais le medium est vite inaudible, la ligne parfois irrégulière et instable, le timbre affecté d'une acidité métallique. Elle ne touche pas. Ce n'est pas gênant car dans l'histoire Isolde est la garce et Tristan la victime. La Brangäne inattendue de Nora Gubisch, pâte sombre, sonore, mellifère, est d'une tenue splendide, comme le Roi Marke (inratable) de Franz Josef Selig et le Kurwenal mordant de Andrew Foster Williams (Telramund l'an dernier sur cette même scène).


Dans notre loge, un jeune belge de Bruxelles voit Tristan pour la première fois. Il est emballé. Cette production de La Monnaie peut frapper les esprits pour sa beauté plastique radicale. Elle intrigue en dépit de sa vacuité théâtrale. Elle transporte pour sa musique que rien ne vient étouffer ou distraire. Elle ne ressemble à aucune autre. On pourra la revoir au Communale de Bologne qui l'a co-produite.

23 Mar 2019

La pyrotechnie kaléidoscopique de l'Enchanteresse à Lyon (22 mars 2019)

Cette Enchanteresse de Tchaikovski (1887), jamais entendue, jamais montée en France, pourrait être un drame social à la Zola ou une chronique provinciale de Tolstoï. C'est un conte russe d'un certain Shpazhinsky. Kouma/Nastasia, une aubergiste des environs de Nijni Novgorod (bel air introductif sur les beautés de la vallée de la Volga) use de ses charmes et transforme son auberge en lieu de liberté et de perdition (éblouissante et sexy Elena Gusseva qui chante d'un soprano ardent pratiquement pendant 3h). Un clerc/prêtre du coin, Mamyrov, lié à la cour locale, est éconduit et décide de se venger (Piotr Mincinski, omni présence cauteleuse). Le prince Nikita, gouverneur de Nijni (Evez Abdulla, look d'oligarque mafieux) vient inspecter l'endroit et succombe aux charmes de la Carmen russe au grand désespoir de son épouse la princesse Eupraxie (saisissante Ksenia Vyasnikpva) et de son fils Youri (éclatant Migran Agadzhanian) qui décidant de venger sa famille se laisse séduire à son tour. Le père jaloux tue le fils. La mère empoisonne la malheureuse enchanteresse. Le père clame son désespoir sous la tempête au milieu des cris de la forêt.

Piotr Illitch aurait-il choisi son sujet et conçu sa musique pour faire pièce aux reproches d'occidentalisme dont il était régulièrement accusé en Russie? Le culot de l'opéra de Lyon c'est d'abord de nous faire découvrir une oeuvre inconnue en France qui sonne beaucoup plus russe que tout ce qu'on connait de Tchaikovski: recours au folklore, scènes populaires aux accents moussorgskiens, pope défroqué, moine vagabond, choeurs de déploration d'une religiosité quasi orthodoxe et slavonne. Le choeur admirable de l'Opéra de Lyon est invisible, confiné dans les coulisses mais constamment là. La fosse lyonnaise rugit ou s'attendrit pendant 3h50 sous la baguette vibrionnante de son chef attitré, le fringant Rustioni, apparemment aussi à l'aise dans l'opéra russe que dans le répertoire italien. La distribution russe est choisie avec une acuité d'expert. Ils sont tous impeccables voire impressionnants, magnifiquement pris en main et dirigés, dans la jauge parfaite de l'opéra de Lyon.

Mais l'autre attraction à Lyon, c'était la découverte d'une nouvelle et étincelante signature de la scène en la personne de l'ukrainien Andryi Zholdak qui fait ainsi ses débuts éblouissants en France après des prestations opératiques et théâtrales remarquées à Saint Petersburg, Poznan ou Skopje. Ce n'est pas Lissner qui aurait eu l'idée de prendre ses lorgnettes pour aller dénicher cet oiseau rare dans de telles contrées. Andryi a le génie de nous raconter l'histoire linéaire de l'ensorceleuse de Nijni Novgorod tout en l'assortissant, tel un kaléidoscope en folie, d'une ribambelle de considérations inattendues ou d'apparence incongrue qui sont autant de stimuli, chausse trappes et fausses pistes pour le spectateur qui cherche simplement à suivre le drame. L'ossature de l'opéra est bien là mais se pare d'une myriade de thématiques mystérieuses superbement réalisées dans une pyrotechnie brillante et déconcertante, moins subversive que celle de Castorf mais où on sent l'intelligence et l'acuité. La scène de Lyon devient un ballet étourdissant où tournoient, se mêlent, disparaissent et se séparent les différents éléments de décor de l'intrigue: l'auberge vernaculaire de Kouma, sa chambre (?) où chacun vient se vautrer dans son lit, une nef d'église avec un Christ gigantesque dont la tête renferme une caméra cachée, le salon high tech des Princes de Nijni Novgorod. L'infâme Mamyrov, masque de réalité virtuelle sur les yeux, est le grand manipulateur de la soirée. Zholdak nous montre une société de la méfiance, de la suspicion et de la traitrise où chacun s'espionne, s'épie, se scrute et se dénonce. Lunettes d'observation, caméra cachée, vidéo volées sont omni présentes. Glaces et miroirs prennent une place obsessionnelle. Les personnages surgissent de nulle part (le Prince Nikita sort d'une armoire enfumée dans la tenue du Prince hindou de Sadko), portes et fenêtres s'ouvrent et se murent alternativement. Au final tandis que le Prince Nikita chante son malheur, l'affreux Mamyrov est toujours là jouant au tennis derrière lui avec une balle virtuelle qu'il récupère pourtant en main dès qu'il aura soulevé son casque de réalité virtuelle. Ultime énigme.

Encore un grand coup pour Dorny que Paris a bêtement laissé filer vers Munich. 76€ la place à Lyon au balcon de face. On en redemande.

22 Dec 2018

Hamlet - Ambroise Thomas - Opéra Comique - Paris - 21 décembre 2018
Le charme irrésistible du XIXè siècle magnifié par la perfection du chant français.

Dans la salle Favart il y des caméras partout: le spectacle est-il filmé ou s'agit-il de la "performance filmique" de Cyril Teste? Depuis le premier rang de la baignoire n°6 on observe le public s'installer au parterre et ceux qui font des gestes de reconnaissance aux amis qu'ils ont reconnus dans la salle. Il y a sur le côté droit une mince colonne qui barre le milieu de la scène et au dessus un auvent qui empêche de voir le haut de scène si bien qu'on échappera partiellement aux vidéos en direct du metteur en scène. 
Ce qui frappe dès les premières notes dans ces salles à taille humaine, c'est l'intense qualité sonore qui monte de la fosse: un son intègre, non trafiqué, sans déperdition, d'un impact immédiat et d'une plénitude totale. La musique d'Hamlet (1868, c'est son 150è anniversaire), qu'on découvre totalement (on a entendu "Mignon" autrefois à l'Opéra de Dijon) est un plaisir pour l'oreille, alternant les moments alanguis et les mouvements dramatico-spectaculo-esbroufards: il y a des fanfares en coulisses, des cloches, des harpes, un solo de saxophone et une couleur d'ensemble plutôt néogothique exhalant une saveur XIXè d'une exquise fragrance surannée. On sent combien Louis Langrée (qui alterne battue à mains nues et baguette) et son Orchestre des Champs Elysées aiment cette musique, sont attachés à lui rendre justice et nous en restituent avec amour et sensibilité la suave et fragile volupté. Les deux grands moments semblent être le violent affrontement entre le fils rebelle et la mère adultère au III, et la scène de la folie d'Ophélie de l'acte IV, tout droit sortie de Lucie de Lammermoor. L'attention est toujours maintenue en éveil, mais dans les moments de relâchement l'esprit peut aussi librement s'échapper et errer vaguement au gré de ses inspirations: notre genou, collé à la cloison de la baignoire, reçoit à rythmes réguliers les vibrations qui montent du sous sol au moment du passage du métro et on se demande si s'agit bien de la ligne 8.
La production de Cyril Teste impressionne plus par sa sobre lisibilité dans la cage de scène nue de la salle Favart que par ses prétendues innovations: la "performance filmique" reste finalement assez discrète d'autant plus que depuis notre baignoire on n'en voit pas la moitié. Elle sent de toutes façons le déjà vu. Castorf dans son Ring de Bayreuth en avait fait un usage beaucoup plus éblouissant (comment oublier Erda essayant ses perruques en coulisse avant d'affronter le Wanderer?). Et faire déborder le spectacle dans la salle (l'arrivée du roi, l'irruption du spectre,  l'entrée des courtisans, etc...) est un procédé puéril et anti-théâtral. Le miracle du théâtre doit rester concentré sur la scène. Le charme est rompu si la scène se diffracte et s'éparpille au milieu du public.
Heureusement il y a sur scène (et donc aussi dans la salle) la fine fleur du chant français avec une collection d'acteurs chanteurs dont le physique et les voix semblent avoir été conçus de tout temps pour incarner, à ce moment précis, les personnages immortels de Shakespeare. Rarement la prosodie française aura été si superbement magnifiėe que ce soir. Le couple Ophélie/Hamlet est hallucinant de crédibilité dévastatrice: elle, diaphane, épurée, amère et désespérée. Sa scène de la folie recueille un triomphe; lui, en baskets et chemise débraillée, capuche d'insoumis, rebel et sombre, ressassant sa vengeance, certainement plus lucide et déterminé que dans Shakespeare. Il chante son air fameux (O vin dissipe la tristesse), la rage au coeur, avec un fond de sarcasme qui fait frémir. Deux artistes magnifiques, Sabine Devieilhe et Stéphane Degout, lui renouant avec la légende du baryton Faure qui fut le Rodrigo français de Verdi avant d'incarner le Hamlet pour qui Ambroise Thomas transposa sa partition. Et autour d'eux on admire surtout la Gertrude viscérale de Sylvie Brunet Grupposo (déja Azucena à La Monnaie) et le spectre abyssal de Jérôme Varnier. Julien Behr nous campe un sémillant Laerte, trop rapidement expédié en Norvège en début d'ouvrage.
Gros succès dans la salle qui acclame les artistes avec enthousiasme au rideau, y compris le metteur en scène, tandis qu'on s'affaire à prendre pour Twitter quelques clichés des saluts (on a été prié oralement et par écrit d'éteindre complètement ses smartphones pendant le spectacle pour cause d'interférence électronique avec le dispositif technique de la production).

C'est une co-production avec Pékin, avec Zagreb, avec Liège. Ambroise Thomas, si bien servi ce soir, va-t-il trouver de nouveaux terrains d'élection en Chine, en Croatie, en Wallonie?

17 Dec 2018

Mefistofele - Boito - Opera de Lyon - 23 octobre 2018
Le monde empoisonné et perdu d'Alex Ollé.

Le Mefistofele d'Arrigo Boito bénéficierait-il d'un retour en grâce? Après Munich, Prague, Orange, avant New York, Stuttgart et Tokyo (Paris aux abonnés absents), Lyon nous en donne, sous la direction d'Alex Ollé, une version particulièrement noire, cruelle et dérangeante. Le mépris dont souffre depuis sa création (Scala 1868), le chef d'oeuvre de Boito est incompréhensible: il est portant le seul, avec Busoni, à avoir cherché à embrasser les deux Faust de Goethe et à dépasser la seule histoire de Marguerite dont Berlioz, Gounod, Schumann ont fait leur miel. L'affrontement entre le bien et le mal traverse tout l'ouvrage encadré par les deux colossales parties chorales qui ouvrent le Prologue et concluent l'Epilogue (admirables choeurs de l'opéra de Lyon). Après le fiasco de la création à La Scala, retiré après 3 représentations, l'opéra a été retravaillé et raccourci jusqu'en 1881 par Boito, auteur du livret et de la musique, mais on aimerait bien connaitre la version originale dans son intégralité. Le dédain dont souffre la partition éclatante, anti conventionnelle, saisissante de Boito tient-il, surtout en France, au poids écrasant des Faust qui l'ont précédé? A la gloire que Boito s'est acquise comme librettiste de Verdi, ce qui le disqualifierait comme musicien? A la réputation totalement infondée d'une musique qui serait "vériste"? On a là, comme pour le Rienzi de Wagner, un des mystères insondables de la musique. Mais il suffisait de se rendre à Lyon pour constater, une nouvelle fois, que Mefistofele est un chef d'oeuvre puissant, percutant, inspiré, nécessaire.
A Lyon, Alex Ollé ne fait pas dans la dentelle. C'est hard et sans espoir. Son dispositif scénique est fait d'empilement de structures métalliques et effrayantes, qui dégringolent des cintres ou se soulèvent de la scène, tel un gigantesque et terrifiant instrument de tortures fait pour écrabouiller les corps et les âmes. Les anges, engoncés dans leur combinaison anti atomique dans un monde définitivement empoisonné, occupés une bonne partie de leur temps à fumer dans les coins, sont inquiétants. Mais le plus inquiétant c'est le Mefisto hors norme, asocial et perturbant de John Relyea (Barbe Bleue à Paris), carcasse immense, voix d'outre tombe, mèche sur les yeux, regard torve, las, désabusé, méprisant, convaincu que l'univers est définitivement foutu (pas assez diabolique juge l'innocente critique de Télérama): l'inverse du Mefisto de Samuel Ramey à New York transformé par Carsen en zébulon extraverti, coloré et finalement si peu satanique. La Marguerite d'Evgenia Muraveva (Lady M, puis Lisa à Salzburg) d'abord un peu banale, prend des allures grandioses et poignantes à l'heure de la mort où l'effrayante chaise électrique d'Alex la transmue en Hélène de Troie étincelante, empanachée et endiamantėe. Le Faust moustachu de Paul Groves est hélas problématique avec un registre d'aigus inaccessibles, escamotés, sabotés: on souffre avec lui toute la soirée même s'il parvient à se reprendre dans la seconde partie (aucune huée: le public de Lyon est respectueux).
La beauté du son de la fosse de Lyon frappe dés les premières mesures. Loin des ondes délavées, trafiquées et paresseuses du décourageant orchestre de l'Opéra Bastille, on a ici, sous la férule du sémillant Rustioni qui chante avec le choeur, une texture sonore profonde, dense, fusionnelle, saine et immédiate qui agit comme un baume pendant toute la soirée, d'une grandeur explosive, cosmique et irrésistible dans les tutti. Ce bonheur sonore, c'est bien pour ça qu'on vient à l'opéra, non?
Un nouveau grand coup pour Lyon et pour Dorny. Paris, à la recherche du successeur de Lissner, l'a laissé filer vers Munich. Et Paris n'a nullement sur ses tablettes le projet de monter un jour Mefistofele.
17 Dec 2018

Ad augusta per angusta
Verdi - Ernani - Opéra de Marseille - 6 juin 2018

Des affiches à l'entrée et un préposé sur la scène viennent nous prévenir: une "certaine catégorie" de techniciens vient de se mettre en grève (bronca dans la salle) et la représentation de ce soir qui aura lieu quand même (applaudissements) sera malheureusement "dégradée" (nouvelles huėes). En fait on n'a pas vraiment ressenti de quelconque dégradation sauf à imaginer que les lumières impeccables de Mr Castaingt auraient du être encore plus réussies si les méchants techniciens n'avaient pas décidé de saboter le travail de leurs camarades.

Ce fut une soirėe de grande euphorie.

D'abord on y découvre une oeuvre magnifique du jeune Verdi (1844) programmée volontiers en Italie ou au Met mais pratiquement jamais donnée en France (sauf à Toulouse ou à Marseille). L'Opéra de Paris ne l'a jamais mise à l'affiche sur le demi siècle écoulé. Tous les ingrédients du génie verdien sont là, fournis sur un plateau d'argent par Victor Hugo (qui a renié la mise en musique de son drame romantique) et par Piave, le fidèle librettiste (première collaboration avec Giuseppe). Enthousiasme des passions contrariées, jalousie, honneur espagnol, grandeur et humanité du souverain (Charles Quint!), appel à la sédition, la musique et le chant vous donnent à chaque mesure envie de saisir une épée et de monter sur scène avec les protagonistes. Après des ribambelles de Rigoletto et Traviata rabâchés à travers le monde, quel bonheur de retrouver une partition rare, pleine de fougue, de vie, de tendresse et d'emportement.

La production de Jean Louis Grinda, venue de Liège et de Monte Carlo, offre l'autre rareté d'une mise en scène en costumes, sans baignoire, sans tuyauterie, sans cageots en plastique, sans cages vitrées, sans vidéo, bref sans message, sans deuxième et troisième degré. Du romantisme, du drame à l'état pur. Çà marche du tonnerre. Figurez vous qu'on s'y bat encore à l'épée et non à la Kalashnikov et qu'on s'y suicide à coup de poignard comme au bon vieux temps. Tout cela est fort élégamment et efficacement mené dans un dispositif de miroir réfléchissant couvrant l'arrière scène dont les effets sont adaptés à l'atmosphère des quatre actes. Belle scène de Charles Quint à Aix la Chapelle qui annonce déjà celle de Philippe II bientôt dans Don Carlos...

Marseille a réuni là un plateau de grande classe avec un quatuor vocal de haute volée. Ludovic Tézier est un splendide roi Carlos, autoritaire, vindicatif, magnanime, royal: voix d'airain irrésistible, ligne impeccable, souffle sans faille, timbre balsamique. Mme Hui He, venue de Chine, déploie un soprano peut être pas toujours très subtil mais glorieux, lumineux et puissant, habitué de Vérone et du Met. Ce n'est pas Marseille qui va lui faire peur. Le Silva d' Alexander Vinogradov, venu de Moscou, déguisé en Léonard de Vinci, impressionne par la profondeur et le tranchant de ses abîmes même s'il s'essouffle un peu dans le haut du registre. L'Ernani de Francesco Meli, venu de Gênes, est touchant, gracieux, adolescent et distingué. Il lui manque un brin de virilité, de sex appeal, de maturité et de noirceur pour  nous convaincre qu'il est bien le lion superbe et généreux de Doña Sol/Elvira et pas le premier communiant de Sant'Agata. Mais quel autre ténor italien chante aujourd'hui  avec tant de style?

Le vétéran Lawrence  Foster fait ronronner comme un moteur de Ferrari l'excellent orchestre et les choeurs de l'opéra de Marseille. Salle de 1850 places, jauge parfaite pour un son intègre, immédiat, salvateur, euphorisant. Places d'orchestre à 80€. Que Bastille avec sa sonorité de hangar essaie un peu de nous en donner autant.


20 Dec 2018

Lully - Phaéton - Versailles - Opéra Royal - 3 juin 2018
Phaéton franco-russe

On en veut vraiment à Benjamin Lazar d'avoir gâché sa production de Phaéton par des concessions niaises et calamiteuses à l'air du temps et au goût russe. Certes c'est une co-production avec l'opéra de Perm (celui de Currentzis). Il fallait peut être tenter de plaire au public local et de lui faire avaler 3 heures de Lully et de Quinault (1683), sans doute un peu nouveaux aux pieds des monts Oural.
Le "Prologue" commence très mal: foutoir incompréhensible (Astrée à lunettes, Elizaveta Snechnikova, écrivant ses souvenirs du drame sur une table de camping après la catastrophe climatique?), style jean/baskets/vestes en cuir au milieu des cageots et des bouteilles en matière plastique. Vidéo indigente pour nous montrer des images de défilés militaires (14 juillet, West Point, Place Rouge, Corée du Nord). Retour intermittent à la sobriété classique pour la "Tragédie mise en musique" sur fond de rideaux moirés joliment éclairés. Mais irruption incongrue et régulière de personnages à la russe (une Fée des neiges avec tiare, des princes Volkonski à tricorne, un boyard éméché façon Boris ou Lady Macbeth). Atmosphère générale de bariolage un tantinet incohérent. Les ballets sont remplacés par de nouvelles et ineptes videos (le sacre de Bokassa, "admirablement rythmé" nous dit Marie Aude dans Le Monde ?!). Clymène, reine d'Egypte, mère de Phaéton, est coiffée d'un hennin façon Isabeau de Bavière. Et Phaéton mourra non de la foudre de Jupiter mais d'un coup de revolver tiré par Astrée.
Ces niaiseries sont d'autant plus affligeantes que cette production a aussi l'ambition de nous restituer le grand style français du XVIIè: gestuelle sobre et éloquente, lenteur et hiératisme des déplacements, éclairages mode clair/obscur façon bougie, déclamation restituée ("La gloère du Roué!"). Quelques tableaux très réussis: le temple d'Isis, le Palais du Soleil, le char de Phaéton. Et au final quelques huées timides pour notre ami Benjamin. On est à Versailles, on proteste discrètement.
Heureusement le véritable embrasement est dans la fosse où Vincent Dumestre et son Poème Harmonique emportent totalement l'adhésion. La beauté sonore des pupitres éclate à chaque mesure. On succombe surtout au charme boisé de la flûte baroque (qu'on nous débarrasse définitivement des affreuses flûtes modernes en métal, fussent-elles en or) et à la magie des théorbes et des luths qui résonnent avec magnificence dans l'enceinte idéale de l'Opéra de Gabriel. Sonorités chaleureuses, naturelles, colorées, profondes, vivantes, balsamiques, à mille lieues des traficotages dévitalisés et anémiés d'Opéra Bastille. On ne pourra jamais se passer des salles vraiment conçues pour la beauté du son, les seules où la musique a sa place.
Sur scène le choeur Aeterna de Currentzis et les voix solistes qui ont travaillé leur style mêlent les gosiers russes et français, tous excellents dans ce répertoire rare magnifiquement restitué: à côté du Phaéton bien campé du juvénile Mathias Vidal (chevelure à la Villazon), obsédé par son ascendance (Suis-je vraiment fils d'Hélios? Essayons de guider son char pour voir...) ce sont les femmes qui emportent la mise. Autoritaire et inquiétante Clymène, malgré son accoutrement ridicule (Lea Trommenschlager/Roulement de tambour), touchantes Lybie (Eva Zaïcik) et Théone (Victoire Bunel) princesses élégantes aux amours contrariées.
(PS: Garer son phaéton un dimanche sur le parking de la Place d'Armes devant le château, c'est 21€ pour l'après midi et la place à L'Opéra Royal c'est 81€ contre 210€ à Bastille).
18 Dec 2018

Lohengrin - Bruxelles - La Monnaie - Py - Altinoglu - jeudi 26 avril 2018,
"Lohengrin, c'est le papa d'Adolf Hitler"...

Voilà en gros l'assertion que le sémillant Olivier (Py), sans doute peu convaincu lui même par sa production, vient délivrer au public sur la scène de La Monnaie avant le lever de rideau. Pour appuyer sa thèse, il nous assure que Wagner était un horrible antisémite au point que Winifred sa belle fille est allée porter à Hitler dans sa prison le papier sur lequel il a écrit Mein Kampf. "Lohengrin, c'est un opéra sur le national socialisme". Voilà le concept plein de finesse, de subtilité et d'originalité qu'on va nous servir ce soir (c'est une coproduction avec le Capitole de Toulouse et l'Australia Opera).
Le problème c'est qu'on ne voit rien de tout çà pendant les 4 heures qui suivent sur la scène de La Monnaie. On voit même exactement le contraire. Certes il y a bien ce théâtre tourbillonnant, calciné et en ruines du Berlin 1945 (le Schiller Theater?) dans lequel on situe l'action (décor d'impressionnantes ferrailles nocturnes de Pierre André Weitz), il y a bien cette surprenante image du Berlin bombardé qui surgit à la fin de l'acte II (le plus réussi de la production). Mais pas de SS, pas de bergers allemands, une société perdue, démilitarisée et sans armes, à mille lieux du nationalisme tonitruant, versatile, en proie au doute, à la crainte et à l'hésitation dont on ne sait rien sur les raisons de la dévastation: on n'y manie que des sabres de bois, Lohengrin n'a que l'aiguille d'une horloge pour trucider Telramund, le jugement de Dieu du premier acte se joue autour d'une table d'échecs et les couronnes qu'on exhibe à tout propos sont en papier, le jeune, ludique et blondinet Gottfried (qu'on voit pourtant au début mourir étouffé sous l'oreiller d'Ortrud) y évolue sans relâche sans qu'apparemment personne ne le remarque. En quoi ce Lohengrin, montré dans un monde en plein désastre, serait-il lui même la genèse de ce désastre, on se le demande vraiment. Et ce n'est pas en nous assénant des slogans péremptoires ("Der Tod ist ein Meister aus Deutschland") ou en nous exhibant les bustes (très laids) des gloires du romantisme allemand qu'on nous convaincra davantage.
Heureusement si la noirceur et les gadgets sans signification dramatique envahissent la scène, la lumière et la cohésion triomphent en fosse et dans les voix. Altinoglu qu'on a connu bien décevant dans son Lohengrin de Bayreuth 2015 est ici admirable et nous livre avec son orchestre et ses choeurs splendides un son d'une beauté balsamique et d'une force de conviction irrésistible, d'une ligne que la respiration ne compromet jamais, d'un galbe continuellement maintenu et empreint de suavité et d'un fonds de tristesse. Il faut dire que la jauge parfaite de La Monnaie, loin des hangars monstrueux style Met ou Bastille, permet au son et aux voix de rayonner ici sans entrave.
Ortrud imposante, impérieuse, dominatrice, saisissante de Mme Pankratova (Kundry à Bayreuth, Elektra à Lyon). Lohengrin viril, costaud, clair et brun de Mr Eric Cutler (Raoul ici même dans les Huguenots de Py). Elsa rayonnante et surdimensionnée de Mme Ingela Brimberg, déjà formatée pour Brunnhilde. Telramund physiquement chétif (face au gabarit de Cutler) mais vocalement percutant de Mr Andrew Foster Williams. Heinrich majestueux et Herault d'airain de MM. Gabor Bretz (prochain Jochanaan à Salzburg) et van Mechelem (Klingsor à Bayreuth) : les distributions sans faille des théâtres à l'image de La Monnaie, les scènes qui prennent tous les risques, loin des sentiers battus, loin du sempiternel et mortellement ennuyeux star system.
A l'opéra il y a ceux qui pleurent avec La Traviata ou Mimi. Et ceux qui chavirent avec les choeurs de Lohengrin, les plus beaux qu'une main d'homme ait écrits. Comment résister au II à la beauté céleste de "Gesegnet soll sie schreiten"? (Belle image de Py qui transforme ici Elsa en cygne sous son voile de mariée).
26 Dec 2018

Macbeth - Verdi - Opéra de Lyon - 21 mars 2018

Des 3 ouvrages présentés à Lyon pour ce mini festival Verdi, c'est cette reprise du Macbeth monté ici même en 2012 par Ivo van Hove qui crée l'évènement, après un Attila donné seulement en version de concert et un Don Carlos français et longuet qui n'a pas emporté l'adhésion. Relevons que Serge Dorny, bien avant Avignon et la Comédie Française, bien avant l'Opéra de Paris qui ne l'a invité qu'en 2018 puis 2019, avait identifié en van Hove un metteur en scène à suivre. C'est ce qu'on appelle avoir du flair et être une fine mouche, quand d'autres se contentent de courir après l'audace des autres.
Ce Macbeth de Lyon hautement euphorisant et énergisant à hautes doses est absolument sensationnel. Nous sommes dans la salle des marchés d'un cabinet de traders du coté de Wall Street. Macbeth et ses acolytes sont les cadres branchés de la compagnie, tous en costume cravate façon Brooks Brothers. Les sorcières qui prédisent à Macbeth son destin hors norme sont les tradeuses à talons haut et corsage Chanel qui débarquent au petit matin smartphones à l'oreille tandis que les écrans des ordinateurs s'allument sur les cours mondiaux des matières premières. Duncan est le patron de la boite. Une femme de ménage omni présente et discrète passe son temps à dépoussiérer les écrans, témoin muet et stupéfait de la mécanique infernale qui va conduire Macbeth au faite de la finance branchée puis à sa décrépitude et sa chute. Tout s'enchaîne sans répit avec une maestria éblouissante sous la conduite d'un orchestre chauffé à blanc et d'un choeur bouillonnant comme un chaudron de sorcières endiablées. Le maestro Rustioni un peu gêné aux entournures dans le Don Carlos français d'hier retrouve ici toutes ses marques, chante avec les chanteurs et emballe tout çà d'une italianità irrésistible qui lui vaudra une ovation formidable au rideau final.
Les chanteurs sont remarquables à commencer par le Macbeth impressionnant, mordant et acéré de Elchin Azizov, sorti du Bolchoï, prochainement au Met, qu'on entendait pour la 1ère fois et qui a fait sensation. Sa Lady Macbeth haute couture et look Cinecitta (Susanna Branchini) balance les décibels avec une grâce maléfique et même s'il est rapidement escamoté elle nous fait piano le contre ré bémol final de sa scène du somnambulisme. On regrette qu'elle meure si vite (étranglée par Macbeth). Le Banquo n'est autre que le terrifiant Grand Inquisiteur du Don Carlos d'hier (Roberto Scandiuzzi) et le Macduff, lui aussi inconnu (Leonardo Capalbo), nous sort une "A la paterna mano" qui tirerait des larmes à Donald Trump lui même et que le public coincé de Lyon applaudit avec chaleur.
Au final le peuple des Indignés de Wall Street envahit la salle des marchés et dégage vite fait le Roi de Wall Street, prostré et perdu, et les affidés qui lui restent. C'était en 2012. L'actualité récente n'a pas encore donné raison à la vision subversive et idyllique d'Ivo van Hove. L'étonnant choeur final de victoire et de libération (Dov'é l'usurpator: un ajout de 1865 avec La Luce langue?) résonne comme un hymne bolchévique prémonitoire. Le peuple a anéanti le tyran et reprend ses droits. Peut-être que la cohorte des crocodiles de Castorf aurait été à sa place là aussi. L'histoire n'est pas finie.
Fulgurant et de grande classe. Devrait tourner sur toutes les grandes scènes du monde.
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